La vitesse magique
A 18 500 t/mn, les « huit paresseux » portent bien leur nom et servent de préambule à mes évolutions. Exercice de coordination par excellence, la qualité de leur exécution se mesure en souplesse mais aussi en précision et les vitesses imposées des 240 kt point clé bas et 140 kt point clé haut les rendent très académiques. Mais déjà, les virages serrés max me ramène à un jeu plus viril. Entamés à 220 kt, plein gaz et im médiatement sur la tranche, les 5,5 g d’accélération, obtenus par action sur la profondeur, sont inévitables pour atteindre les vibrations annonciatrices du décrochage. En insistant, le résultat ne tarde pas à être brutal, mais cesse avec le simple relâchement de l’action sur la profondeur. Le « badin » s’est rapidement dégradé, ce qui introduit naturellement le virage à rayon minimun. En effet, à 140 kt, niveau constant, à plus de 600 d’inclinaison et avec une assiette légèrement positive, l’aile basse semble plantée dans le sol et l’horizon défile allègrement.
140 kt, la vitesse offrant l’incidence de finesse max (avion lisse) demeure magique pour le Fouga. Elle permet entre autres, la montée pente max, le régime d’endurance max, etc. Ainsi, en panne des deux réacteurs, en affichant celle-ci, je pourrais rejoindre, là où je suis, les terrains d’atterrissage de Saint-Christol, Aix, Orange ou Salon, situés dans un rayon de 30 nautical miles (56 km).
Trêve de commentaire. J’entame à présent l’enchaînement de la série de voltige classique. Parfaitement aligné sur l’axe au niveau 130, régime 19500 t/mn, je vais rechercher la vitesse de 260 kt pour le retournement. A 70° de cabré, le nez dans le ciel, le demi-tonneau exécuté sur la trajectoire à partir de 180 kt, me contraint à rejeter la tête vers l’arrière pour retrouver le visuel de l’horizon. La boucle entre les vitesses de 280 et 110 kt, déroule maintenant ciel et terre dans le plan vertical. Dans cette mouvance, les réservoirs de bouts d’aile deviennent des « bouées de sauvetage » en matière de recalage dans l’espace. Leurs hauteurs relatives me tracent le chemin du zénith, leur pivotement et l’angle à 45° qu’il matérialise avec l’horizon un instant plus tard, me désigne le mas de Provence au centre du pare-brise sur lequel je dois tourner le demi-tonneau du « huit cubain ». Commencé à 300 kt, une ascension un peu plus soutenu du nez de l’avion annonce le rétablissement final. Arrivé sur le dos, le haut de l’arceau verrière calé sur l’horizon, à 140 kt, je déploie mon énergie sur toutes les gouvernes de l’avion pour obtenir le droit légitime de revenir élégamment en vol normal, les ailes horizontales.
Nouvelles aventures
Un bref coup d’œil dans la cabine me permet de constater que la fin de transfert des bidons en bout d’aile est effective. S’enchaîne une série puis une autre. Pour corser l’affaire, j’en viens à celle « basse vitesse » où je soustrais systématiquement 40 kt au départ de chaque figure. Il est à noter qu’il suffit de 200 kt au Fouga Magister pour « passer la boucle » (plein gaz évidemment). Dans l’euphorie, je renouvelle la démonstration étonnante selon le principe que le Fouga peut-être placé sans danger, même avec un badin ridicule, dans les attitudes les plus scabreuses. Effectivement, à partir de là, Si je ne le contrarie pas, en conservant les commandes strictement au neutre, irrémédiablement je vois son nez au bout d’un certain temps, repasser sans encombre sous la ligne de l’horizon et l’appareil, de par son équilibre dynamique, est dès lors prêt à de nouvelles aventures.
La mission ne serait pas complète sans une vrille. Je grimpe au niveau 150. Là, avion lisse, compensateur à 0, gaz plein réduit, nez haut à 95 kt, j’engage franchement et complètement la direction et comme pour refuser l’abîme qui s’ouvre sous moi, je ramène la profondeur en butée arrière sur le siège baquet.
Le Fouga semble tout d’abord refuser l’incongruité de la manœuvre que je lui impose. Ainsi, lors de son premier tour de vrille, tournant déjà vivement autour de l’axe de roulis et de tangage, il essaie de reprendre une bouffée de ciel pur au dessus de la surface que constitue l’horizon. Ensuite, il se visse inexorablement dans une spirale terrestre. Deux tours, trois tours, l’altimètre s’emballe, le badin s’interroge en battant entre 60 et 140 kt. La vrille est franche, sans soubresaut parasite, il est temps d’en sortir. Par l’action de la pleine direction à l’opposé de la vrille, la rotation cesse et il suffit d’un peu de profondeur avant, pour ramener l’appareil dans son domaine de vol.
L’héritier des années glorieuses
Après quelques trèfles, tonneaux lents, barriqués et des baquets, le jaugeur m’interpelle : 380 litres. Les bonnes choses ont toujours une fin et c’est l’heure de mettre le cap sur le terrain. Evoquant la fin d’un bonheur, c’est justement pour son intempérance notoire, héritage des années glorieuses, que le Fouga se transforme en « espèce en voie de disparition ».
Rigueur professionnelle oblige : je recale les « gyro et vérifie mes instruments de radio-navigation. Eux aussi me semblent maintenant bien désuets, mais cette faiblesse instrumentale du CM 170 pourrait être curable car un simple GPS de quelques milliers de francs suffirait pour rénover avantageusement l’avionique de ce vétéran. A 1500 pieds, 220 kt, j’entre maintenant dans le circuit et tout s’anime autour de moi. « Je ne suis pas tout seul ». J’arrive rapidement à l’initial. Après un break vigoureux, je sors le train d’atterrissage à 130 kt, puis les volets pour basculer en dernier virage. A 110 kt (15000 tours/minute), le nez se verrouille sur le seuil de piste, le rectangle de béton grandit et l’arrondi me fait tangenter gentiment la planète à 90 kt.
Le parking s’est transformé en une ruche bourdonnante et brûlante. L’avion est maintenant dans ses cales, les interrupteurs sur « off », les robinets coupe-feu fermés. Les réacteurs tournent en moulinet avant de s’arrêter. Je ressens à présent la langueur physique qu’occasionne ce type de mission mais je suis bien. Après plus de trois mille heures sur le Fouga, je m’étonne de la satisfaction sans cesse renouvelée de m’entraîner sur cet appareil.
Lcl Henri Guyot.
L’armée de l’air, des avions et des hommes.
Par le lieutenant-colonel Henri Guyot. Chez ADDIM.
Cet ouvrage généraliste nous décrit les principales unités navigantes de l’Armée de l’air en 1992, les principaux appareils alors en service et leurs caractéristiques.
La victoire venue du ciel
Par le lieutenant-colonel Henri Guyot. Chez Lavauzelle.
L’armée de l’air française durant la guerre du Golfe en 1991.