Un témoignage du lieutenant-colonel Henri Guyot qui compte plus de 3000 heures de vol sur cet avion de légende. Je le remercie pour m’avoir autorisé à le publier ici. J’ai découvert un homme passionné et plein de gentillesse, et qui voue sa vie à l’aviation. Il a cette modestie et cette humilité qui est l’apanage des grands hommes de l’air : je viens juste de découvrir par hasard dans ma bibliothèque deux superbes ouvrages signés de sa plume, que je me dois de vous présenter à la fin de cet article.
le Webmestre.
Article publié dans Air Actualités n° 464 (juillet – août 1993)
A la faveur de la 2 millionième heure de vol du Fouga Magister CM 170 effectuée au sein de l’Armée de l’air, le lieutenant-colonel Henri Guyot, alors rédacteur en chef du magazine Air Actualités, n’a pas résisté au plaisir de nous faire partager l’une de ses nombreuses heures de vol sur ce merveilleux appareil :
« PPV, Pilotage Perfectionnement et Voltige – zone de travail : R 71 Bravo – Axe : Lima – Altitude mini : niveau 80 – Terrains de déroutement : Istres, Orange Pétrole mini : 250 l au point initial – Mission de remplacement : tours de piste à Salon – Avion : N0 516 AZ ». Les ordres de vol ont été signés sur le cahier ad-hoc. Après examen de la forme 11 (suivi mécanique de l’aéronef) et quelques civilités échangées avec le chef de piste, casque et parachute tenus d’une seule main sur l’épaule, je longe l’alignement impeccable des dix appareils de l’escadron, à la découverte de mon avion. Par cette matinée de juin, le soleil levant et la brume estompant tous les reliefs à l’Est du terrain laissent présager une chaude journée aéronautique. Ainsi, le premier tour s’annonce comme un privilège. De plus, selon l’expression de la gente chasseresse, «il fait un temps de curée » sur zone, ce qui convient parfaitement à mon infortunée condition d’abonné affecté en état-major. Tout est calme, ni les cigales, ni les Marboré VI n’ont entamé leur concert strident. Seul le bruit métallique des cales, projetées par les pistards, résonne étrangement sur le parking de Salon-de-Provence.
Seul dans ma tour d’ivoire
L’« alpha zoulou » est là et dans un premier temps, le rite de l’inspection extérieure de l’avion s’accomplit comme un besoin mythique de caresser la monture. Je lui enfonce l’amortisseur du train d’atterrissage avant, je lui vérifie, de l’œil et de la main, zeus, sauterelles de capotage, bouchons de réservoirs… Les bidons sont froids, donc pleins… Les réacteurs sont bien là où il faut, vus de l’entrée d’air ou de la tuyère. Je n’oublie pas non plus le traditionnel coup de botte sur la roulette de queue (qui doit remplir son office c’est-à-dire tourner sur son axe) ni l’épreuve de force avec le cadre de conjugaison des gouvernes du papillon. Toutes ces actions insolites, indispensables en matière de sécurité des vols, matérialisent en fait le premier contact affectif du pilote avec son avion.
Me voilà maintenant à l’étroit dans ma cabine, assis sur mon parachute, harnaché, coiffé du casque et le masque inhalateur d’oxygène sur le nez : c’est alors la valse des interrupteurs orchestrée par des actions vitales (A/V) bien établies et par de savantes formules mnémotechniques. Le réacteur gauche rugit, le droit aussi et bientôt je referme la verrière m’isolant du même coup du monde extérieur, tout à la joie de me retrouver seul dans cet habitacle qui devient du même coup ma « tour d’ivoire ».
- Salon Airport – Mistral 122 – Taxi clearance and take-off instructions.
- Mistral 122 – Runway in use 34 -Fox Echo: 1016 – November Hotel : 1023 – Report holding point.
Le frein de parking est lâché et aux régimes réacteurs de 10 000 tours/minute, l’« objet siffleur » s’ébranle en cahotant sur chaque dalle du parking pour rejoindre les taxiways. La hauteur de mon séant par rapport au sol n’excède pas deux pieds pour le moment.
Point de manœuvre, les A/V avant décollage sont entonnées à voix haute sur le téléphone de bord comme, il y a bientôt trente ans, avec mon premier et persuasif moniteur.
« Sois Courageux Mais Prudent En Vol, Garde Intelligence Habileté Observation ». Tout un programme :
« S » pour serrage manette, servocommande, sensibilité artificielle ; « C »pour commande libre et dans le bon sens ; « M » pour moteurs… « O » pour oxygène sur 100%. Rien ne se néglige ni ne s’oublie en la circonstance.
Entre le Lubéron et la montagne de Lure
Alignement sur la piste – Pleins gaz sur freins : 21500 t/m pour une poussée de 2 fois 480kg – 15° de volets – Le Magister s’élance plaisamment ; moment suprême qui me ramène à mon lâcher, il y a bien longtemps et en d’autres lieux. Aucun problème de tenue d’axe ne perturbe l’élan modéré du Fouga. 20 secondes après, approchant les 100 kt, ce dernier ne me demande même pas la permission de décoller tant l’action que j’applique sur la profondeur me semble imperceptible. A partir de là, après la rentrée du train, le miracle intervient, c’est la révélation du volatile qui vient subitement de retrouver son milieu de prédilection, car les rugosités terrestres ont laissé la place à un coussin invisible mais douillet, où l’avion semble glisser sans effort.
3000 pieds, sortie de circuit, succédant aux trajectoires scrupuleusement définies, la conquête des azurs est amorcée entre le Lubéron, le Ventoux et la montagne de Lure, vitesse 220 kt, 2000 pieds par minute au variomètre. Plus l’altitude croît et plus il me semble que le cadre majestueux de la Provence s’immobilise autour de moi. A peine si j’aperçois la lente translation du décor par rapport à une aspérité de la verrière. J’ai l’impression de devenir le maître de ces lieux, et je scrute le ciel comme pour déceler l’éventuel intrus venant empiéter sur mes terres : la surveillance du ciel en terme professionnel. Rien à craindre, seuls quelques messages radio, émis de nulle part, fusent dans mes écouteurs et violent l’intimité qui s’est instaurée entre l’avion et moi. Je mesure le contraste que suscite cette montée sur axe avec le défilement tumultueux perçu lors des navigations habituellement effectuées à basse altitude à 500 pieds sol, à des vitesses de 240 ou 280 kt.
« Actions vitales à 10000 pieds : moteur… tachy… T4… pression, température d’huile… oxygène… pressurisation, altitude cabine… pétrole : 630 litres en transfert… pas de fuite aux bidons ». Tout va bien :
Voici l’axe et la route Est – Ouest qui le constitue, borné par la petite ville de Céreste et par le coude caractéristique indiqué sur ma carte au 1/500 000e. L’horizon, par sa pureté rectiligne, sa netteté, son étendue, semble sortir tout droit d’un manuel de pilotage de base. Le travail va s’effectuer entre les niveaux 95 et 145. Toutes les maladresses sont autorisées à ces altitudes et l’audace, si audace il y a, réside seulement à les commettre. Ce faisant, l’entité « perfectionnement » mentionnée sur le cahier d’ordres recouvre toute sa signification… (Lire la suite…)