Armand n’a encore jamais volé sur l’eau

“C’est à la lueur des lanternes que nous procédons en hâte aux diverses vérifications. Il ne s’agit pas d’oublier quelque chose, une pièce mal ajustée, un boulon mal serré peuvent pendant un si long trajet, entraîner les pires conséquences. Tout semble bien en ordre et je m’installe sur mon siège [casque de cuir, ceinture de sauvetage en kapok]. Le moteur est mis en marche. Nous observons dans le vent et le bruit de la machine si tout va bien. Nous l’arrêtons pour vérifier une dernière fois et le laisser se chauffer régulièrement.”

“Le ciel commence à s’éclaircir et laisse apercevoir des nuages inquiétants. Il faut se presser. Le moteur est remis en route et nous écoutons quelques instants sa marche normale. Comme il me semble que tout va bien, je regarde mon frère qui me fait signe que je peux partir. Je lève le bras. On lâche l’appareil et je mets tous les gaz. L’avion vibre sous le vent de l’hélice et commence à rouler. Je m’efforce de lui faire prendre immédiatement le plus de vitesse possible en poussant le moteur à fond et en tenant le fuselage horizontalement. [Départ à 5h44’59’’3/5, chronométreur Georges Poujoulat, commissaires Max Sillig, Georges Jaccottet et Hermann de Pury.]. Je vois arriver avec émotion la région marécageuse où je vais peut-être m’enliser si je ne peux quitter le sol à temps. Mais heureusement la vitesse augmente et en maniant avec précaution le gouvernail de profondeur, je sens bientôt l’appareil s’élever et passer au-dessus du marais. [il décolle après 40m]

“Voilà déjà le premier danger de passé. Le terrain file maintenant sous mes roues sans que je risque de m’y enfoncer. J’arrive au lac [après un peuplier]. Je suis déjà au-dessus de l’eau. Je donne alors toute mon attention à la manœuvre pour ne m’élever que progressivement et très lentement, afin de ne pas perdre de vitesse. En pensant à ce danger, je tremble, n’étant pas encore assez haut pour me permettre de descendre, si ce n’est dans le lac.” [Nb : au lieu d’arrivée, à la Gabiule, l’attente du coup de téléphone confirmant le départ fut longue !]

Parti de Noville (VD) à l’est du lac Léman, l’appareil piloté par Armand Dufaux, passe à 50m d’altitude au large de Saint-Gingolph (74, F) le dimanche 28 août 1910, établissant bientôt le nouveau record du monde de distance sur l’eau.

Parti de Noville à l’est du lac Léman, l’appareil piloté par Armand Dufaux, passe à 50m d’altitude au large de Saint-Gingolph (Haute-Savoie) le dimanche 28 août 1910, établissant bientôt le nouveau record du monde de distance sur l’eau.

Les premières vraies difficultés : trou d’air, perte de pare-brise, huile dans les yeux…

“Je m’éloigne des côtes en montant lentement et je me trouve bientôt à environ 50m, ce qui me parait une hauteur convenable pour naviguer. Je prends confiance, bien installé derrière la plaque de celluloïd qui me protège à la fois du vent et de l’huile expulsée par le moteur. Je me tiens cependant sur mes gardes ne sachant pas ce qui m’attend ! Cette inquiétude me gâte un peu le plaisir que j’éprouve dans ce premier vol au-dessus de l’eau.”

“Tout va bien, je commence à me rassurer, quand brusquement je sens mon siège fuir sous moi et je tombe dans le vide ! Ce passage dans un trou d’air me met déjà en difficulté [pas sanglé à l’avion]. Pour en sortir, je pique immédiatement vers la surface du lac, retrouvant ainsi la vitesse nécessaire pour rétablir l’équilibre compromis et m’éloigner de ce passage difficile. Malheureusement, cette suprême manœuvre me fait perdre de la hauteur et je me trouve maintenant presque au raz de l’eau, situation assez troublante. La plus petite dépression peut en effet provoquer le contact de mes roues sur l’eau et m’y précipiter [vers l’embouchure de la Dranse]. Les habitants de la région venus pour assister au départ eurent à ce moment l’impression d’une chute et furent bien étonnés de voir l’appareil subitement repartir. Cette émotion désagréable me persuade qu’il est urgent de prendre rapidement de la hauteur, si je veux avoir quelque chance de continuer le voyage.”

“J’arrive avec peine à quelque 30m de hauteur et me sens plus en sécurité. Je peux repérer ma route et attendre d’autres éventualités. Quelques instants plus tard, alors que mes inquiétudes semblaient s’apaiser, je suis tout d’un coup complètement aveuglé. Le courant d’air de l’hélice vient d’arracher la plaque protectrice de celluloïd et je reçois maintenant en plein visage le vent, les gaz d’échappement et toute l’huile du moteur [pas de lunettes]. Je me trouve dans une situation angoissante. Je ne puis voir ma route qu’en tournant la tête à gauche ou à droite et dans l’impossibilité absolue de lâcher les commandes pour me protéger les yeux. Je fais d’amères réflexions. Que va-t-il encore m’arriver ? Et le voyage ne fait que commencer ! Mais je n’ai pas le choix, il faut continuer.”

“Je venais à peine de reprendre mes sens qu’une nouvelle difficulté se présentait. L’effet des ailerons qui doivent rétablir l’équilibre, déjà difficile à maintenir, n’avait plus la même efficacité que dans mes vols sur terre. Cela pouvait devenir sérieux car rien n’était plus démoralisant que de se trouver dans un appareil qui n’obéit plus aux commandes. Je ne pouvais songer à retrouver, par une succession de descentes vers le lac, la vitesse nécessaire à l’efficacité des commandes, cette hauteur si difficilement obtenue devait être conservée comme suprême défense en cas de nouveau trou d’air ou de vent. Cependant, je dois, bien à contrecœur, m’y résoudre et pendant trois quarts d’heure je lutte en descendant et en remontant pour maintenir mon équilibre et conserver mon altitude.”

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