Les frères Dufaux sont à la fois concepteurs, constructeurs mais aussi leurs propres pilotes d’essai, ils sont en tous points de vrais pionniers. La 1ère traversée du lac Léman dans sa longueur par Armand Dufaux (1883-1941), sur un appareil Dufaux-4, est une réussite. C’est aussi le double du record de Blériot sur la Manche un an auparavant. Voilà une énorme publicité pour la marque Dufaux et un grand événement qui restera dans les annales mondiales de l’aviation.
Beaucoup de courage pour s’inscrire à un raid dépassant les capacités du moment.
Fin 1909, pour stimuler l’aviation naissante à Genève, MM Perrot et Maurice Duval offrent un prix très important de 5000Frs (30.000€ actuels) à l’aviateur qui traversera le lac Léman dans le sens de la longueur, ce qui représente environ 80 km à parcourir sur l’eau, soit le double de la traversée de la Manche par Blériot. Ce trajet à réaliser au-dessus d’un lac entouré de hautes montagnes, sans possibilité d’atterrissage, est pout l’époque un parcours très long et périlleux. Dans cette région on peut aussi craindre de dangereux coups de vent. Les frères Dufaux s’inscrivent dès que possible, le 27 juillet 1910, quoique n’ayant encore jamais pu parcourir en vol une telle distance. Ils veulent tenter l’aventure car il leur faut gagner ce prix comme publicité de leur marque.
La quasi-totalité du vol se fera en territoire français, sur la rive sud du Léman.
Armand Dufaux, le pilote, nous raconte la suite : “Nous sommes cependant assez inquiets sur le sort que nous réserve cette tentative. Si nous tombions à l’eau, tout serait perdu et la machine détruite, nous ne pourrions certainement plus recommencer. Rien n’était donc plus incertain que la réussite de ce vol pour lequel il nous manquait encore beaucoup d’expérience. Nous devions d’abord parcourir sur terre une distance à peu près égale à faire sur l’eau. Le moteur pouvait-il tenir jusqu’au bout ? [moteur Gnôme rotatif de 50cv] Il devait, en effet, tourner au moins 1h et jusqu’à ce moment nous n’avions jamais pu voler plus de 20’ [le 25 août ils voleront 31’]. Il convenait aussi d’emporter une grande provision d’huile et d’essence représentant environ 20kg, surcharge importante”.
“Nous ne pouvions malheureusement pas faire trop d’essais avec le moteur, sachant la durée de sa vie limitée à un petit nombre d’heures. Nous devions donc le ménager. Sa force était déjà insuffisante pour lutter contre les courants d’airs que nous pouvions rencontrer en cours de route. L’altitude à laquelle se trouve le lac Léman représentait aussi pour l’époque une hauteur déjà difficile à atteindre et de ce fait on se trouvait sans défense, constamment en perte de vitesse, situation que nous connaissions déjà comme très dangereuse.”
“Prévoyant une panne possible au-dessus de l’eau, nous dévalisons par prudence toutes les charcuteries de Genève pour nous procurer des vessies de cochon. En effet, elles deviennent, quand elles sont gonflées, d’excellents flotteurs. Nous en mettons le plus possible [35] dans le long fuselage de notre machine”.
Une première date est annoncée pour le 7 août avec l’arrivée prévue dans la propriété de M de Saussure au Creux de Genthod. Mais une avarie de moteur fait reporter la date, puis vient le meeting de Viry [14-21 août] et la tentative est alors annoncée pour le 28 août.” [Gaumont de Paris va venir filmer l’événement].
Une étrange expédition vers Noville (canton de Vaud) un samedi matin
“Tout semblait prêt, il nous fallait encore trouver un terrain de départ et un terrain d’atterrissage si nous avions la chance de ne pas rester en route flottant sur le lac au milieu des vessies ! Aux environs de Genève, à la Gabiule, un petit terrain juste suffisant pour se poser pourrait servir à l’arrivée. Il nous avait déjà été prêté bien des années auparavant pour nos tout premiers débuts. Depuis, des lignes téléphoniques traversaient ce terrain et il fallait obtenir l’autorisation de les détourner. Malheureusement, les poteaux n’ayant pas été déplacés, rendaient l’atterrissage dangereux si par malheur le vent nous ne nous était pas favorable. A l’autre bout du lac, près de Noville, dans cette région marécageuse formée par le Rhône à son entrée dans le lac, nous trouvons assez facilement un terrain [nommé La Praille] suffisant pour le départ, mais déplorable pour rouler longuement. Nous pouvons rester embourbés dans ces marais si le départ n’est pas réussi du premier coup.”
Le 27 juillet 1910 à l’aube, Armand Dufaux s’équipe pour le départ imminent du vol.
“Après avoir mis soigneusement tout au point et avisé la Commission de notre départ pour le lendemain au petit jour, nous n’avions plus qu’à transporter rapidement la machine sur le terrain de l’envol. Pour ces transports délicats, nous avions organisé de longs chariots sur lesquels était fixé l’appareil démonté en plusieurs parties. Ce grand train de voitures chargées de choses encore inconnues que remorquait une auto bruyante provoquait l’étonnement des habitants des villages que nous traversions [arrivée à Noville à 12h]“
“A Noville, le matériel transporté sur le terrain de départ est rapidement remonté [de 17h à la nuit]. Il était tard et je pensai qu’il serait sage d’aller se coucher afin de reprendre les forces nécessaires pour surmonter toutes les difficultés qui m’attendent au lever du jour. [Nuit à l’Hôtel de l’Aiglon et une moto laissée chez Julien Meylan, garde frontière. Le journaliste Philippe Latour est aussi venu là sur sa Motosacoche de 1,25cv et vivre ce départ].
“Le lendemain, bien avant le soleil [le dimanche 28 août, à 05h], nous retrouvons l’appareil resté toute la nuit sous la garde de nos mécaniciens [Mario Giani et Marius Jubin], qui n’avaient pas voulu l’abandonner. Il était prudent de partir avant le jour pour éviter les courants dangereux qui devaient inévitablement se produire dès que les premiers rayons chauds du soleil arriveraient dans cette région de hautes montagnes. Les bateliers que nous avions questionné à ce sujet nous avaient en effet signalé des vents probables au lever du soleil, vents moins à craindre dans la région plate du Petit lac.”