Joseph Thoret dit “Thoret-Mont-Blanc”

Dès 1925 Thoret crée une école de baptême de l’air à Chamonix. Sur un Salmson des surplus militaires transformé en triplace. En 3 ans, il fait découvrir les turbulences à 410 personnes. En août 1926, impressionné par les exploits locaux de Thoret, un mécène Mr Dina, astronome et propriétaire de l’observatoire du Mont-Blanc, proche du refuge Vallot (4.367m), le contacte pour effectuer des parachutages de matériel et de ravitaillement au pied du refuge. Thoret accepte et c’est à bord d’une “limousine” Farman F71 à moteur Salmson de 230cv, affrétée par Dina, qu’il effectuera les largages, prévus initialement au départ de Genève-Cointrin distant de 75km. En septembre, les 1.100kg de matériel nécessitent 26 rotations depuis Genève compte tenu de la faible charge marchande de l’appareil. Le mécano de Cointrin, Louis Demaurex participe à l’un de ces vols.

Mais le trajet aller-retour entre Genève et le refuge, 150km, renchérissent l’opération. Aussi Thoret cherche-t-il rapidement un terrain proche de Chamonix pour recevoir le Farman. Le choix se porte assez vite sur une vaste prairie près du village des Praz-sur-Chamonix, à 10km du refuge Vallot. C’est de là que Thoret s’envolera par la suite pour ravitailler le refuge et l’observatoire, économisant les vols aller-retour vers Cointrin. Toutefois, au cours d’un vol entre Genève et Chamonix (date et circonstances imprécises) des ennuis de moteur l’obligent à se poser rapidement. Il atterrit sur une prairie en bordure de l’Arve sur la commune de Passy. Thoret note l’importance de ce lieu et le signale à Dina qui pensait installer un aérodrome à Chamonix et créer l’Aviation du Mont Blanc. C’est pourtant là, mieux qu’à Chamonix, à 65km de Genève, à Passy au lieudit Marlioz, que l’aérodrome dit “du Fayet” se développera.

Thoret entre en 1927 chez Air-Union où il pilote des vols commerciaux entre Paris, Lyon, Marseille ou Genève à bord d’une berline Spad 33. Au cours d’un Paris-Marseille, suite à une panne moteur il capote et passe l’avion sur le dos en Côte d’or, sans dommage corporel pour le pilote et les passagers. En avril, en Finlande, il s’entraîna aussi à décoller et atterrir sur la neige avec des skis en guise de train d’atterrissage. Puis il rentre à Chamonix. L’inauguration du terrain de Passy a lieu le 12 janvier 1928 par Thoret et le grand Robert Bajac (1897-1935).

Joseph Thoret et Robert Bajac, pilotes d’Air-Union, sur le terrain du Fayet en janvier 1928 après un vol autour du Mont-Blanc.

Joseph Thoret et Robert Bajac, pilotes d’Air-Union, sur le terrain du Fayet en janvier 1928 après un vol autour du Mont-Blanc.

Avant le début de la saison touristique, Thoret effectue les Genève-Passy et ses vols d’essai au Mont-Blanc à bord du Spad 56 à 7 places d’Air Union (420cv, F-AIMO). Dès le 18, avec le Salmson de 1918, il inaugure la mise en pratique de la navigation mixte, des vols utilisant au maximum les courants favorables le long des reliefs, entre Cointrin et Chamonix et dans les circuits des Alpes. Pendant 3 ans d’expérimentation sa méthode montrera ses avantages : économie de carburant, réduction d’usure du moteur, gain de temps et aussi agrément durant les vols, unanimement apprécié par la clientèle. Il faut préciser que le plafond de l’appareil est de 3.000m mais Thoret l’amène facilement à 3.800m grâce aux ascendances. En été, du 25 juin au 6 octobre, il compte 240h de vols touristiques avec passagers. L’hiver, Thoret le passe à Paris. Entre 1928 et 1930, il emporte ainsi 1.612 passagers sur le Mt-Blanc parfois avec l’hélice calée ! Seul à bord du Potez-36 F-AJGT : “Avec 95cv je m’amusais à faire 95’ de danse sur place dans la tempête de neige du Mt-Blanc.” Son surnom de “Mt-Blanc” lui est alors attribué par le journaliste Roger Labric en raison du succès de ses vols.

1932-39, en motoplaneur sur Paris Domodossola via Genève, pour honorer Chavez

En 1932, Thoret transfère l’Ecole des remous à Challes-les-Eaux et se consacre presque uniquement à la prospection du massif du Mont-Blanc. En 1935, il tente à nouveau la traversé des Alpes sur un appareil encore plus léger qu’en 1926, une avionnette biplace SFAN-1 à moteur Poinsard de 25cv, un motoplaneur actuel.

Le 12 août il vole de Paris-le-Bouget à Auxerre, Lons-le-Saulnier, Challes-les-eaux ; le 13, de Challes vers Aiguebelle, le Mont-Cenis et Turin. Le 14, retour Turin-Challes puis retour sur Paris en 2 jours.

En automne Thoret va commémorer les 25 ans du vol de Géo Chavez de 1910. Le 28 septembre, départ du Bourget de 2 appareils (avec l’ingénieur Blazy) avec des escales à Genève, Sion, Brigue. Thoret atteint Domodossola où il se pose sur la prairie “Siberia” à côté du monument dédié à Chavez. Dans les gorges de Gondo il monta à 2.700m et fut fort secoué, alors que son moteur était 2 fois plus faible que celui de Chavez, et il lui fallut 1h20’ depuis Sion.

Thoret, à gauche, et Blazy dans le SFAN 1, surmonté de son moteur de 25cv (1935).

A Sion (Suisse) Thoret, à gauche, et Blazy dans le SFAN 1,

surmonté de son moteur de 25cv (1935).

En novembre, Thoret vole de Paris à Nice en 6 jours, donnant des conférences aux escales dans les aéroclubs.

Parmi les derniers exploits de Thoret, en 1937, un vol d’une heure hélice calée sur Morane Saulnier 230. Mais hélas, en 1938, ses supérieurs suppriment “l’école des remous”. En 1939, c’est peut être l’exploit le plus spectaculaire : sur un bombardier lourd Bloch-200, moteurs au ralenti, il réussit à tenir l’altitude plus d’une heure au-dessus de Sainte-Beaune. Envoyé ensuite au Moyen-Orient, il sera rapatrié de Syrie en 1945 à la suite d’une double phlébite. Inapte au vol, il quitte l’armée de l’air avec le grade de commandant.

R.&A. Jouhaud : “Retiré à Saint-Rémi-de-Provence, Thoret vit avec son épouse en bordure de “son” terrain, sculptant et peignant des tableaux, recueillant des couleuvres, pestant inlassablement contre les vélivoles qu’il accuse d’avoir transformé une pédagogie de la sécurité en sport inutile. Craint autant que vénéré, il reçoit la visite régulière de tous les utilisateurs du terrain : Atger, Brun, Choisnet, Couston, Mathé et Noin [célèbres vélivoles français]. Il ne cesse de répéter que pour être sûr, le vol à voile doit se pratiquer comme sur un appareil à moteur.” Joseph Thoret décède le 4 juillet 1971, à 79 ans. Ce grand champion de vol à voile, de la durée hélice calée sur poids lourds, du “racle-rocs”, des “rodéos dans les niagaras des rabattants”, de la “vaccination contre la mort dans les tourbillons les plus terrifiants”, ce professeur “ès tempêtes alpines”, toutes ces expressions sont de lui, disparait en emportant le regret que son exemple n’ait pas été suivi et que ses écoles aient été fermées. Car il était persuadé, et il avait raison, que l’on aurait évité en l’écoutant bien des accidents en montagne”.


Auteur : Jean-Claude Cailliez

Source : Avec l’aimable autorisation de son auteur, cet article est tiré de l’excellent Site des pionniers de l’aéronautique à Genève : Pionnair-GE Visitez le, vous y trouverez de nombreux autres récits.

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