Si les pilotes sont connus pour avoir du caractère, leur leader sera sûrement Joseph Thoret qui en avait plus que beaucoup d’autres. Il tenta des vols inouïs au-dessus des reliefs, ouvrit la voie au vol à voile français et au vol à moteur dans les Alpes. Moteur coupé, il savait aussi économiser le carburant. Ses raids Paris–Milan, via Genève, sur un avion de 25cv étaient inimitables. Pilote de ligne, il excellait dans la région genevoise où on le vit souvent entre 1924 et 1935.
Le futur “Thoret la tempête” : déjà très impressionnant en 1914-18.
Joseph Juste Thoret naît à Dôle (Jura) le 5 janvier 1892, fils d’officier supérieur et élevé en milieu militaire. Il cesse ses études pour se consacrer à l’aviation, aidé par sa mère. Inscrit le 11 mars 1911 à Ecole Bressane d’aviation d’Ambérieu (chef-pilote Louis Mouthier), il décroche son brevet no.708 sur Blériot-Anzani le 12 janvier 1912. Déjà engagé dans les aérostiers militaires en décembre, il passe à l’école de vol d’Avord en août et obtient son brevet militaire no.306 à Pau le 3 août 1913. Là, sur Blériot, il est déjà célèbre pour ses vols par vents forts. En 1914, versé à Belfort à l’escadrille BLE-10 (Blériot), le caporal Thoret découvre les phénomènes ascendants et rabattants en passant au-dessus d’un hangar à dirigeable lors d’un vol où il se retrouve plaqué au sol. Durant la guerre il pilotera dans l’escadrille Voisin no.29.
Au 6ème jour de guerre il est le héros d’une aventure nouvelle. Le 10 août, il engage le combat aérien contre un Aviatik à coups de révolver. C’est bien le 1er combat mais pas encore la 1ère victoire comme l’écrit la presse, ce qui déclenche une de ces colères tonnantes dont Thoret a le secret et l’habitude.
Il est encore le 1er aviateur à aller rechercher un blessé dans les lignes allemandes : son propre frère. Le 29 février 1915, avec le sergent Kolb, ils sont abattus en Allemagne. Prisonniers, évadés, ils sont repris mourants de faim à 20km de la frontière hollandaise. Jour après jour, Thoret s’appliquera alors à respirer méthodiquement les résidus de combustion d’une boîte d’allumettes ce qui l’amènera à être évacué sanitaire en Suisse. C’est son 1er contact avec l’Helvétie, au statut d’interné. Le 15 octobre 1917 il est rapatrié à Lyon et reçoit la médaille militaire. Sa robuste constitution lui permet de retrouver très vite la santé et 6 semaines après il est moniteur de vol à Ambérieu. Sa carrière militaire continuera jusqu’en 1945, au grade de commandant tout en effectuant divers essais d’appareils militaires ou civils pour la France.
Le lieutenant Joseph Thoret (1892-1971)
vers 1927 (Photo FAI).
Des records de durée de vol en “poids lourds” avec l’hélice arrêtée.
En 1920, pilote à la base militaire d’Istres, Thoret se trouve pris par hasard dans les remous du mistral soufflant sur les Alpilles. Hélice calée à bord d’un monomoteur biplace HD-14 de plus d’une demie-tonne, il lutte contre les remous. Il commence à développer la technique du “rochassier” élaborée non pour battre des records mais pour survivre à ce qu’il appelait “les niagaras de rabattants“.
Le 3 janvier 1923 à Biskra (Algérie) toujours sur HD-14, hélice calée, il fait un vol record de 7h03’ sur le Djebel Delouatt. Le même jour il donne les 1ères leçons de vol à voile en double commande de l’histoire. Il invente aussi le vol en perte de vitesse à plein moteur dans les rabattants de la falaise géante d’El Kantara.
Le 6 août 1924, Thoret ouvre à Romanin-les-Alpilles une “Ecole des remous” sur HD-14 (Section d’études de vol dans les remous).
Le 26, il tient l’air durant 9h04’ hélice calée avec un gain de 575m à 875m et un passager de 90kg, dans les “Niagaras” du mistral. Le Vol à Voile était né aux Alpilles. Il souhaitait apprendre aux pilotes comment déjouer les rabattants…
Le 24 septembre 1925 près de Saint-Florent (Corse), il réalise un vol de 40km en 3h33’ hélice calée sur un HD-17, version à flotteurs du HD-14. Parti du niveau de la mer, il réussit à grimper jusqu’à 500m. Il aime à prouver qu’un avion lourd peut évoluer partout comme un planeur, hélice calée et que “le sol n’engloutit pas le vent, et pour aussi bas que l’on soit, il est toujours possible d’y trouver une ascendance“.
Ces exploits sont filmés, passent aux actualités, et l’aéro-club de Genève invite ses membres à les voir en avril 1924 (Pathé, L’école des remous). On retrouve Thoret au meeting international d’aviation de Lausanne les 28-29 mai à la Blécherette. C’est un festival d’une quarantaine d’as militaires français, italiens et suisses qui excellent en voltige et vols spectaculaires. Une escadrille suisse est notamment menée par le capitaine genevois Henri André. Thoret y fait ses vols hélice calée.